Interview : Jennie Gellé

Entretien (réalisé cet été) avec Jennie Gellé, grande gagnante de la première édition du MaNo – Marathon de la Nouvelle, avec sa nouvelle Da capo, coup de cœur d’Isabelle de Lassence, auteure du roman Un métro pour Samarra aux Editions Marabout (coll. La Belle étoile) et marraine de cette première édition.


« Gros coup de cœur pour la nouvelle « Da Capo » de Jen !
Ce texte au rythme hypnotisant nous berce, comme un beau morceau de musique.
Dès les premiers mots, Jen arrive à nous faire entrer dans la vie
et la tête de son personnage musicien, file la métaphore, boucle la boucle.
 »
Isabelle de Lassence



Bonjour Jennie et tout d’abord félicitations à toi !!!
Avec ta nouvelle Da Capo tu es la première gagnante du MaNo – Marathon de la Nouvelle, qui a réuni pour cette première édition pas moins de 80 participants. Pour commencer, peux-tu nous donner tes impressions et nous dire ce que tu as pensé des contraintes de ce marathon ?

Tout d’abord, une immense surprise d’avoir été choisie par Isabelle de Lassence ! Pour tout dire, j’avais même oublié qu’un concours était en jeu et c’est avec ton mail m’informant que j’avais gagné, quelques semaines après ma participation, que je m’en suis souvenue ! En participant, je n’ai pas pensé un seul instant que j’avais une chance de gagner, d’autant plus que mon texte était peu narratif. J’ai lu un grand nombre des autres participations et je suis très honorée d’avoir été choisie parmi tant de belles nouvelles. Cela m’a vraiment rendue heureuse et motivée à continuer. C’est un encouragement magnifique, merci !

Pour moi, les contraintes de ce marathon ont juste été parfaites. Je bloquais depuis un moment sur la fiction, n’écrivais que des poèmes, sans régularité, et j’ai trouvé avec ce concours un format idéal pour ma manière d’écrire. Je me suis installée devant mon ordinateur à 21h et j’ai posté mon texte deux heures plus tard. J’ai fait de longues études, avec beaucoup de concours et d’examens, et je fonctionne mieux dans l’urgence et l’adrénaline, même si, les années passant, je supporte moins le stress et que j’ai besoin de davantage de douceur. J’aime aussi avoir un thème imposé, cela me repose et me procure un guide évocatoire. J’avais un cadre, un mot pour m’inspirer et j’ai laissé mon esprit vagabonder librement à l’intérieur de cet espace. Ensuite il n’y a plus eu qu’à transcrire ce qui était venu à moi dans ces associations d’idées et rêveries.


Pourrais-tu te présenter en quelques mots pour nos lecteurs ?

Eh bien, j’ai 39 ans et j’enseigne la philosophie à des lycéens de séries technologiques à Paris. J’ai besoin que ce que je fais dans la vie ait un sens pour moi, sinon je n’ai aucune motivation et m’ennuie à en déprimer. Après mes études et un peu d’errance professionnelle, j’ai trouvé que transmettre étonnement et questionnement philosophiques à des adolescents était ce qui me convenait le mieux pour me sentir utile et gagner ma vie. Néanmoins je reste fâchée avec les contraintes administratives et scolaires, et préférerais vivre dans une école philosophique de l’Antiquité, à discuter culture et sagesse dans un jardin dans un climat amical, sans évaluations.  🙂  Je suis quelqu’un d’assez sauvage et introvertie, même si je peux donner le change et mettre toute mon énergie dans la « représentation » que nécessite la vie en société. J’ai besoin de longues plages de calme et de solitude pour recharger mes batteries et me reconnecter à mes sensations. Idéalement, je vivrais de la lecture et de l’écriture… comme beaucoup d’aspirants écrivains !


Alors justement, pourrais-tu nous dire quel est ton rapport à la lecture ainsi qu’à l’écriture ?

Vital ! J’étouffe dans une maison sans livres ou dans une ville sans librairie. J’ai besoin du rapport charnel au livre papier et de me plonger régulièrement dans des mondes poétiques et fictionnels. J’ai longtemps pensé que la vraie vie était dans les livres. En vieillissant, je tempère un peu cette assertion, car je vis davantage dans la réalité qu’auparavant… mais en fait non, la vraie vie reste avant tout dans les livres, ahah !

L’écriture s’inscrit dans cette perspective, avec la peur et l’excitation en plus. Plonger dans la rédaction d’un texte, c’est une sensation vertigineuse, une forme de sorcellerie, avec ces mots et cette musique qui surgissent d’un lieu mystérieux en nous, sur lequel nous n’avons pas prise et devant lequel il n’y a qu’à s’incliner. Pour le moment, je ne peux m’y consacrer plus d’une heure ou deux d’affilée, dans une journée, sans me sentir totalement vidée. J’espère qu’à force de pratiquer, l’endurance viendra. Et que le trac et le sentiment d’illégitimité s’estomperont. 🙂


Que penses-tu de l’écriture de nouvelles en particulier ? Est-ce un genre qui t’est familier ? Participes-tu à d’autres concours de nouvelles ?

J’écris spontanément des fragments, des textes courts, des poèmes. Il y a quelques années, pour m’exercer, j’avais répondu à des appels à textes et rédigé deux nouvelles relativement longues pour moi. L’une d’elles a été intégrée, sous pseudo, dans un recueil collectif. Cela m’a encouragée, même si j’avais le sentiment d’avoir été sélectionnée par erreur. Je pense que c’était néanmoins trop tôt pour moi, un faux départ. Des problèmes personnels m’ont happée et je me suis détournée de l’écriture pour un moment. Je pense être un peu plus mûre aujourd’hui dans mon écriture, maîtriser davantage le processus. Mais j’ai encore beaucoup de progrès à faire. L’écriture de nouvelles courtes est donc un excellent exercice pour moi, et je me suis lancée dans le Zodiac Challenge avec un grand bonheur. Je ne souhaite pas participer à d’autres concours. Je préfère me concentrer sur mes textes pour le challenge, avec l’ambition de les retravailler ensuite en recueil.


Aurais-tu d’autres projets d’écriture en cours en plus de ce recueil ? Un projet de roman ?

J’ai plusieurs projets de romans en friche depuis une éternité. Jusqu’au MaNo, je me maudissais de ne pas parvenir à les mener à bien. Grâce à celui-ci et au Zodiac Challenge, j’ai compris que j’avais en fait besoin de passer en premier par une phase d’écriture de textes courts. Pour faire mes gammes. Et je ressens moins l’urgence d’écrire un roman, ni la honte (vis-à-vis de moi-même) de ne pas le faire. Peut-être n’écrirai-je que des textes courts à l’avenir, et c’est très bien ainsi.


Te souviendrais-tu de quand et comment est née en toi cette envie d’écrire, de raconter des histoires ?

Tout simplement de mes lectures d’enfant ! Je vivais littéralement dans les livres et leurs auteur.e.s me procuraient un tel bonheur que je rêvais de donner la même chose à mon tour à d’autres enfants ou adolescents.


As-tu mis en place une routine d’écriture ?

Honnêtement, non. Avec la rentrée qui revient, les cours, les élèves, les copies, plus la vie quotidienne, familiale, je vais y réfléchir sérieusement néanmoins. Je ne veux plus rester plusieurs semaines sans écrire, à voir le temps filer « pour rien ».




Questionnaire du Zodiac


– Peux-tu nous citer trois adjectifs te qualifiant ?
Instinctive, rêveuse, passionnée.

– Ta plus grande fierté ?
Avoir souvent suivi mon désir sans dévier, sans flancher, dans plusieurs domaines de ma vie.

– Si tu écrivais ton autobiographie, quel titre ou sous-titre lui donnerais-tu ?
Il est fort improbable que j’écrive mon autobiographie. 🙂

– Ton premier souvenir de lecture ?
Un premier, je ne sais pas, car j’ai appris à lire très très tôt, vers 3-4 ans. Mes souvenirs les plus frappants, ceux que j’ai lus, relus, qui me réconfortaient, m’offraient leur amitié, pourraient être L’Histoire sans fin, de Michael Ende, et Le Héron bleu, de Cynthia Voigt. J’étais une enfant solitaire, assez triste, et je me sentais bien avec Bastien et Jeff, les deux héros esseulés de ces romans. De façon générale, j’ai dévoré les livres parus chez Castor Poche et Folio Junior, entre 9 et 13 ans, tout mon argent de poche y passait. Je les ai encore chez moi, tout cornés et usés. Ce sont mes amis d’enfance, ils m’ont accompagnée dans ma découverte du monde.


– A quand remonte ta dernière lecture et qu’était-ce ?
J’ai lu, il y a quelques jours, un court roman (ou longue nouvelle) d’Ursula Le Guin, Loin, très loin de tout. En général, je lis tous les jours, mais là, je me suis remise au Zodiac Challenge et j’ai du mal à entrer dans un autre univers fictionnel pendant que je me concentre sur l’écriture. Mais j’ai Ethan Frome, d’Edith Wharton, qui m’attend près de mon lit, prêt à être commencé. Et les nouvelles de Charles Yu, publiées aux Éditions Aux Forges de Vulcain.


– Ton genre littéraire de prédilection ?
Je lis beaucoup de genres différents, beaucoup de littérature jeunesse et young adult, de la littérature générale, des polars, un peu de SF. J’aime tout particulièrement le réalisme magique. Et la poésie.

– Le livre que tu as le plus apprécié ?
Entre ciel et terre, de Jón Kalman Stefánsson, lu en 2010. Ce livre m’a bouleversée par son écriture. Il est venu me parler directement au cœur.


– L’auteur que tu aimerais ou aurais aimé rencontrer ?
L’écrivain argentin Julio Cortázar (1914-1984). J’ai lu son recueil de nouvelles Les armes secrètes à 17 ans, ça a été un choc. J’ai découvert le genre du réalisme magique avec lui. Ensuite, j’ai lu toutes ses nouvelles, ainsi que son roman Marelle (Rayuela) directement en espagnol. Je vais de temps en temps lui rendre visite et le saluer au cimetière du Montparnasse, près de chez moi. Sa tombe est toujours recouverte de témoignages d’amour de Latino-Américains de passage, c’est très émouvant.


– Le personnage de roman que tu aurais aimé être ?
J’aurais aimé être amie ou amante avec plein de personnages, mais être eux, non, jamais.

– Tes conditions idéales pour une bonne lecture ?
Dès lors que je peux m’abstraire de mon environnement, c’est-à-dire que je n’ai pas à surveiller un bac blanc ou à répondre aux sollicitations diverses et variées de ma famille, toutes les conditions sont idéales.

– Tes conditions idéales pour écrire ?
Idem.
J’écris souvent sur mon téléphone, en extérieur. Ou bien sur mon ordinateur à la maison. Jamais à la main. Tant que personne ne réclame mon attention, c’est bon, je peux me concentrer. Et entrer en transe (discrète). En revanche, je n’arrive pas à me lâcher en bibliothèque ou sur un ordinateur dans un café. J’ai besoin d’intimité. Le téléphone est très bien pour cela. J’ai aussi besoin d’écouter beaucoup de musique, avant d’écrire ou pendant. J’ai l’impression que cela libère mon inspiration.

– Le livre que tu conseillerais pour les vacances ?
Les polars d’Arnaldur Indridason, traduits par Éric Boury, mettant en scène Erlendur Sveinsson. Ce sont des merveilles d’humanité et de mélancolie, contemplatifs, sensibles, délicats et jamais glauques.


– Les ingrédients qui selon toi sont nécessaires pour faire un bon roman ?
En tant que lectrice, avant tout de l’empathie avec les personnages. Que ceux-ci soient incarnés, vivants. En ce qui me concerne, intrigue et rebondissements importent moins, mais il faut dire que je suis très contemplative.

– Ta citation favorite ?

« La vie passe son temps à déranger la littérature. »


C’est une phrase prononcée par Jón Kalman Stefánsson lors d’une lecture-signature à la librairie Compagnie en septembre 2018. Il venait d’expliquer que passer quelques mois en résidence d’écrivain à Paris avait été génial, parce qu’il pouvait travailler 10-15h par jour, alors que chez lui, en Islande, il était toujours interrompu par la vie, laquelle venait s’opposer à l’écriture en l’obligeant à nettoyer les toilettes, préparer le repas ou aider ses enfants à faire leurs devoirs… « même si bien sûr », avait-il conclu en riant, « on peut toujours écrire un poème tout en nettoyant ses toilettes ».
Ce n’est pas une citation littéraire en revanche 🙂



Sinon je pourrais citer toutes les interventions d’Ursula Le Guin. Notamment celle-ci, de 1978 : « “Being in love — falling in love” — now I understand it — now I know what it means — what happens to me when I am writing: I am in love with the work, the subject, the characters, and while it goes on & a while after, the opus itself. — I function only by falling in love: with French and France; with the 15th Century; with microbiology, cosmology, sleep research, etc. at various times — I could not have written A Week in the Country without having fallen in love with current DNA research! … What it is I suppose is the creative condition as expressed in human emotion and mood — So it comes out curiously the same whether sexual or spiritual or aesthetic or intellectual. »




Merci beaucoup Jennie d’avoir joué le jeu de cette interview et encore une fois toutes mes félicitations pour avoir remporté cette première édition du MaNo – Marathon de la nouvelle. Je te souhaite de très belles lectures et séances d’écritures pour tes projets à venir ! Une dernière question, si des personnes souhaitent suivre tes écrits, comment peuvent-elles le faire ?

Je suis un peu ambivalente vis-à-vis des réseaux et d’internet, je poste donc des petits textes sur mon profil Facebook, mais en privé, avec des paramètres de confidentialité restreints. Et sur le forum du Zodiac Challenge, bien entendu ! 🙂



Scribbook, partenaire du MaNo – Marathon de la Nouvelle

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